Craig Thompson est une figure bien ancrée dans l'imaginaire de la bande dessinée. Le cultissime Blankets était un titre autobiographique. L'auteur y parlait de son enfance dans une ferme, de ses parents religieux incapables d'attendre la fin du monde et de son premier amour, qui a été une expérience formatrice importante. Ginseng Roots commence également par l'histoire de Craig, mais cette fois-ci, il y a beaucoup, beaucoup plus, et nous apprenons à connaître la plante vivace titulaire sous tous les angles, vraiment tous les angles. Ginseng Roots commence, en un sens, à un niveau méta. Nous rencontrons Thompson, qui, déjà dessinateur reconnu, est aux prises avec un manque d'inspiration et un problème de santé qui constitue un argument supplémentaire pour ne rien dessiner. L'inspiration survient de manière tout à fait inattendue, lors d'une visite à la ferme familiale. Les conversations avec ses parents et le « festival du ginseng » en cours constituent une toile de fond idéale pour se replonger dans le passé. Les années durant lesquelles le jeune Craig et son frère ont travaillé dur pour cultiver des racines afin d'améliorer le budget familial et de gagner de l'argent pour les bandes dessinées. Tout cela, combiné à une nouvelle perspective, amène Thompson à commencer à dessiner, comme nous l'apprennent ses conversations avec le ginseng personnifié, qui devient la mascotte et l'« hôte » de la bande dessinée. En d'autres termes, nous lisons la bande dessinée tout en découvrant les coulisses de sa création. Les éléments autobiographiques jouent un rôle important, car ils donnent un rythme à la narration et contribuent aux incursions ultérieures dans le monde du ginseng, et ils sont totalement incroyables. L'auteur nous fait partager sa vie depuis l'inoubliable Blankets, mais le contenu de Ginseng Roots peut donner au lecteur le sentiment d'avoir été tout simplement trompé. Dans Blankets, le thème du travail à la ferme n'apparaissait pas du tout, ou alors comme un petit épisode insignifiant. Dans la nouvelle publication, en revanche, toute l'enfance et l'adolescence, ainsi que la vie de toute la famille et de la ville, semblent s'articuler autour du calendrier agricole. Dans quelle bande dessinée Thomspon déforme-t-il le plus la réalité ? Et si nous savons déjà qu'il le fait, pourquoi devrions-nous croire la totalité de ce qu'il décrit ? Dans quelle mesure pouvons-nous faire confiance à un homme qui a complètement supprimé l'existence de sa sœur dans la bande dessinée autobiographique qu'il a écrite sur son enfance ? Non, pas une sœur beaucoup plus âgée ou beaucoup plus jeune. Une sœur qui était l'enfant du milieu, entre Craig et son frère Phil ? L'auteur s'en explique en mettant une partie de cette explication dans la bouche de la sœur, mais tant pis si la confiance a été perdue ? De ce fait, s'il n'y avait que l'auteur ici, il y aurait matière à discussion, mais heureusement, il y a le ginseng.

Mais attendez un peu. Thompson est américain et on a tendance à associer le ginseng à la Chine. Cette association est justifiée, car les habitants de cette partie du monde sont les plus susceptibles d'utiliser la plante, mais la culture est un peu différente. Craig est originaire du Wisconsin, où l'on cultive le ginseng depuis des décennies. L'origine de cette culture est, bien entendu, l'une des innombrables informations que nous apprendrons dans le cadre de ce volume relié. Après l'avoir lu, vous deviendrez probablement la personne la mieux informée sur le ginseng parmi vos amis. Vous apprendrez notamment comment le cultiver, en quoi une plante cultivée dans les champs diffère d'une plante récoltée dans l'environnement naturel, qui le consomme et pourquoi, et qui gagne de l'argent grâce à lui. La légèreté avec laquelle Thomspon passe de quelques anecdotes à un exposé de trente pages sur un sujet est intimidante. Il arrive souvent que ce qui semblait être une interjection mineure devienne un chapitre à part entière. Et c'est impressionnant au début, mais on se demande à la fin - pourquoi ? Il nous a été difficile de juger sans équivoque si tel ou tel passage était particulièrement instructif. L'auteur parle de manière beaucoup plus intéressante des personnes associées au ginseng que du ginseng lui-même, ce qui semble être le cas le plus souvent. Si les informations de base sur le développement de la racine, le traitement des fruits, etc. sont intéressantes, les innovations techniques sur l'ensemencement, par exemple, ne sont probablement qu'un prétexte pour montrer à quel point l'auteur raconte bien une histoire comique, à propos de ces choses inhabituelles. Ce qui est trop n'est pas bon pour la santé ? C'est vrai, mais heureusement, tout cela est servi de façon magistrale. Le nombre d'idées qu'il y a ici pour chaque planche, cadre ou dessin me permet de fermer les yeux sur de nombreux problèmes dont j'ai parlé plus haut. Ginseng Roots est une belle démonstration de ce qui peut être montré dans une bande dessinée, s'éloignant des 6 à 9 images classiques par page sans pour autant tomber dans l'extravagance la plus totale. Étant donné la quantité de connaissances que Thomspon a essayé d'intégrer dans cette bande dessinée, il est évidemment conseillé de s'engager dans la manière dont elle est présentée. Après tout, nous ne voulons pas laisser au lecteur un livre illustré. Au lieu de cela, nous avons dans Ginseng des polices tourbillonnantes comme des racines, des cartes, des interjections de bandes dessinées, des projections à partir des perspectives les moins évidentes et bien d'autres choses encore.