Dans le sens du vent - Nord, Nord-Ouest (Hokuhokusei ni Kumo to Ike) est une série toujours en cours de parution au Japon et qui a connu huit tomes à ce jour aux éditions Enterbrain. Au milieu de l'Islande, au milieu de nulle part : Kei Miyama, un Japonais de 17 ans qui s'est installé dans le grand nord de l'Europe pour des raisons familiales, n'a pas de chance. Il est sorti de la route, sa voiture est couchée sur le côté. Kei doit attendre le lendemain matin et passer la nuit dans la voiture avant que les secours n'arrivent et qu'il puisse accomplir sa mission. Parce que le brillant jeune homme essaie de devenir détective privé. Pour joindre les deux bouts, il accepte n'importe quelle mission, aussi petite et banale soit-elle : Il doit ramener un chien, retrouver une flasque perdue ou traquer un étranger pour une actrice. L'homme séduisant et âgé en question s'avère être le grand-père français de Kei, Jacques, avec qui il vit. Puis un imprévu se produit : soudainement, le contact avec le frère de Kei, Michitaka, qui vit avec un oncle et une tante au Japon, est rompu. Aucun des trois n'est joignable. Kei et son grand-père doivent donc se rendre au Japon pour vérifier la situation sur place. Ils vont avoir une mauvaise surprise ...

Le septième volume nous plonge encore plus profondément dans ce mélange si personnel de mystère, d'introspection et de beauté quotidienne que l'auteur a su tisser depuis le premier volume. Ce tome reprend là où le précédent s'était arrêté : Kei Miyama, notre protagoniste, refuse d'abandonner sa quête pour retrouver son jeune frère, Michitaka. Si la mort de Michitaka semble acceptée de tous, Kei est persuadé qu'il est toujours en vie, caché quelque part, laissant derrière lui une multitude de questions sans réponse. Cette fois, Kei décide de se plonger dans le passé de son frère pour tenter de percer le mystère de sa véritable identité, car même à ses yeux, il lui apparaît comme un parfait inconnu. Au fil de son enquête, Kei rencontre des personnes qui ont connu Michitaka dans sa jeunesse. Mais les réponses ne sont ni claires ni faciles à obtenir : chacun le décrit comme différent, contradictoire et difficile à comprendre. Cette découverte suscite chez Kei des doutes sur le mode de vie de son frère et sur les relations qui ont façonné son quotidien. Cette ambiguïté morale et émotionnelle est l'une des plus grandes réussites d'Aki Irie, qui évite de nous offrir un portrait plat de Michitaka et s'interroge plutôt sur la perception, l'amour fraternel et l'identité. Le volume s'ouvre sur un chapitre consacré à Lilja, la muse glaciale et éthérée qui accompagne Kei et semble symboliser la beauté froide et énigmatique de l'Islande. Son apparition initiale crée un ton poétique, chargé de métaphores visuelles. Irie consacre plusieurs pages à présenter Lilja comme une quasi-incarnation de la nature islandaise elle-même : belle, inaccessible, parfois cruelle, et pourtant hypnotique. Tout au long du volume, Lilja demeure un personnage fascinant de par sa dualité : d'un côté, elle représente un intérêt romantique potentiel, et de l'autre, elle rappelle presque constamment que le monde intérieur de Kei est loin d'être paisible.

L'une des plus grandes réussites de ce volume réside dans la magistrale alternance narrative d'Aki Irie. D'un côté, le mystère principal – la disparition de Michitaka et les secrets de son passé – progresse au gré de découvertes inquiétantes et d'un ton presque policier par moments. De l'autre, le manga prend le temps de nous montrer des scènes du quotidien de Kei cuisinant, discutant avec des amis ou conduisant simplement sur les vastes routes islandaises. Le contraste entre le calme de l'Islande et le Tokyo chaotique que Kei explore au cours de son enquête ajoute une dimension thématique supplémentaire au manga. Aki Irie illustre comment le protagoniste, habitué aux grands espaces et au calme, se sent étouffé par la vitesse et la densité de la ville japonaise. Cela souligne non seulement la déconnexion de Kei avec sa terre natale, mais renforce également le conflit émotionnel auquel il est confronté : sa quête de Michitaka est aussi une quête de lui-même, une quête de réconciliation entre son passé et son présent. Bien que la lenteur de l'ouvrage puisse être un obstacle pour certains lecteurs, c'est précisément cette lenteur qui permet à la série de créer une atmosphère dense, presque hypnotique. Le récit d'Aki Irie exige l'attention, nous invitant à nous arrêter à chaque case et à lire entre les lignes. Toutes les réponses ne sont pas encore disponibles, et c'est là tout son charme : l'histoire ne se limite pas à résoudre un mystère extérieur, mais explore aussi les mystères intérieurs des personnages. Visuellement, ce volume est une œuvre d'art. Les lignes claires et élégantes d'Irie impressionnent par leur capacité à capturer aussi bien de vastes paysages enneigés que des intérieurs de cuisine intimistes. La façon dont l'auteure joue avec les contrastes entre le noir et le blanc, entre les espaces ouverts et fermés, reflète parfaitement les états émotionnels des personnages. Le design de Kei, Lilja et des autres personnages secondaires demeure un autre point fort de la série, avec une beauté intemporelle qui confère à chacun une personnalité unique. Ce nouveau volume confirme que cette saga est bien plus qu'un manga policier. C'est aussi un traité sur la perte, l'identité et l'acceptation, enveloppé d'une atmosphère magique grâce à son mélange unique de réalisme et de fantasy. Aki Irie fait une fois de plus preuve d'audace en s'écartant des sentiers battus du genre pour nous offrir un récit beaucoup plus intime et humain.