Scénario : Denis Lapière
Dessin : Dany
Résumé : Sur l'île normande de Chausey, une tempête inattendue fait chavirer le destin : celui de Paul, un homme déjà vieux sur le point d'en finir, et celui de Kristen, une jeune fille dont le bateau est venu se fracasser sur les rochers. L'histoire de cette rencontre est en apparence celle d'un double-sauvetage : une réponse à une fusée de détresse lancée au-dessus des vagues. Car Kristen n'est pas là par hasard. Paul est un reporter-photographe connu pour sa série "Terra" et Kristen travaille pour l'éditeur qui attend la maquette de son nouveau livre. Un livre différent, plus intime, "le journal d'une vie d'aventures amoureuses", confie l'artiste. Les portraits de femmes témoignent sur les murs des conquêtes du Don Juan et chevauchent les souvenirs dans la maison de son enfance. Le réalisme époustouflant et les jeux de lumière ajoutent à l'image une texture cinématographique vivante qui creuse le vécu de chaque ride et accompagne dans la houle les récits d'un voyage sentimental. Face à cet homme sans attache, qui se défend pourtant d'exhiber ses trophées, Kristen n'a pas dit son dernier mot. Elle porte la voix des femmes d'aujourd'hui dans l'antre du solitaire, homme d'une autre génération en voie de disparition.
Cet ouvrage aurait pu se lire comme un contrepoint, voire une réaction (énervée) au mouvement Me Too, mais sur ce plan il commet a minima un contresens total, voire se fourvoie dans un hors sujet total. Toutes les liaisons sentimentales du héros sont en effet consenties. L’idée consiste donc plutôt à suivre le bilan compliqué de la vie amoureuse dense d’un homme à l’automne de sa vie qui, sans se justifier, tente d'expliquer son parcours amoureux, ainsi que ses motivations artistiques. Deux passions qu'il a liées. Sans lui chercher d’excuses faciles, disons qu'il se nourrit de ses conquêtes féminines tant physiquement qu'artistiquement pour les (re)convertir / sublimer en une œuvre cohérente. Le comprendre implique de séparer l’homme de l’artiste en quelque sorte… Hum. Oh tiens, un ange qui passe près de la sortie ! Il ne "consomme" pas ces femmes parce qu’il peut le faire ou parce qu’il en a le pouvoir. La séduction est mutuellement volontaire. Sans doute agit-il systématiquement comme un gougnafier de la pire espèce au moment de quitter la "femme de sa vie du moment", cependant les ruptures propres même si elles existent ne constituent pas vraiment la majorité du genre. Il suffit d’avoir un peu vécu (ou des amis) pour le constater. Le lecteur narquois se dit que si la photographie, profession du héros, devait être remplacée par, au hasard une profession dont la narration se fait graphiquement, tout en conservant le physique du personnage principal dans la force de l’âge doté d’une splendide crinière blanche, il n’est pas impossible que Denis Lapière vienne de rédiger la biographie de son dessinateur. Suffisamment d’allusions dans le texte viennent étayer cette théorie amusante. En conservant le prisme du consentement volontaire des jeunes femmes à l’esprit, le scénario reste finalement très classique. Le dessin de Dany se rapproche davantage encore du réalisme que dans les excellents "Histoire Sans Héros" et "Vingt Ans Après" avec Jean Van Hamme.
VERDICT
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Si "Un homme qui passe" peut apparaître comme une lecture aussi balisée que surannée, c'est avant tout un beau voyage temporel dans un huis-clos qui va comme un gant à Dany.