Ce joueur de cartes discret, qui parcourt le pays de casino en casino, se fait appeler William Tell (Oscar Isaac). L'anonymat est sa marque de fabrique et il évite d'attirer l'attention en se contentant de gains faibles à moyens. William a passé huit ans et demi dans une prison militaire. Il y a étudié en détail les jeux de cartes comme le poker et le black jack et la manière de tirer le meilleur parti de la probabilité limitée de gagner. William porte en lui un passé traumatisant. Il a fait partie des soldats qui ont torturé des détenus dans la prison d'Abu Ghraib en Irak, gérée par l'armée américaine, et qui ont posé devant les caméras en se moquant d'eux. Contrairement à lui, son supérieur Gordo (Willem Dafoe) n'a jamais été jugé, car il ne figurait sur aucune des photos tristement célèbres. C'est sur ce Gordo que le jeune Cirk (Tye Sheridan) a jeté son dévolu : Il veut le torturer et le tuer pour venger le suicide de son père, qui a également servi à Abu Ghraib. Cirk aborde William lors d'une conférence de Gordo, qui travaille comme conseiller technique. William invite Cirk, endetté et sans perspectives d'avenir, à l'accompagner dans ses voyages au casino. Et il accepte soudain la proposition de l'agent de joueurs La Linda (Tiffany Haddish) de participer à un tournoi de poker très bien doté. Que prépare vraiment William et que veut-il faire de Cirk ?

Le réalisateur Paul Schrader, âgé de 75 ans, a déjà créé pour le cinéma plusieurs tableaux de mœurs sombres et mémorables de la société américaine. Il est devenu célèbre dès 1976 en tant que scénariste de "Taxi Driver", qui met en scène un vétéran du Vietnam traumatisé et avide de vengeance. Dans son nouveau film, William, joueur de cartes, va de casinos en motels dans un scénario personnel post-apocalyptique. Pour lui, en tant qu'ancien tortionnaire militaire d'Abu Ghraib, il ne s'agit plus que de pure survie mentale, malgré une peine purgée, et non plus de la recherche du bonheur. Autrefois, cet homme était, selon ses propres dires, un homme à femmes. Désormais, il est assis, pâle et sans mot dire, à des tables de jeu et part avec un petit bénéfice, avant que quelqu'un n'ait l'idée de le regarder de plus près. Deux personnes font bouger cette existence d'ombre. Tiffany Haddish joue l'agent patenté et bien mis qui ne sait rien de son passé. William peut-il s'ouvrir à l'amour ou n'en a-t-il plus le droit ? L'amour ne consisterait-il pas à se réinventer comme par une force divine ? Dans l'image, Schrader cite effectivement une fois avec délectation "La création d'Adam" de Michel-Ange. Quant au jeune Cirk, qui s'approche de William avec le désir de se venger, il éveille en lui un intérêt qui semble longtemps ambivalent. Malgré son apparence grise, le personnage interprété par Oscar Isaac, captivant, a quelque chose de tapi dans l'ombre. Il semble attendre le jour où il pourra passer à l'acte avec une précision glaciale, en tant que joueur brillant, mais peut-être aussi en tant que meurtrier. C'est dans ce suspens que naît la tension d'un thriller noir. Schrader fait preuve d'une volonté stylistique en donnant aux souvenirs de Williams dans les salles de torture des perspectives courbes et en laissant dans d'autres scènes son visage presque dépasser de la pièce. Le monde de William ferait exploser tout dialogue verbal. Pourtant, l'homme utilise la force organisatrice des mots, à l'écriture et en tant que narrateur en voix off. Même les casinos s'intègrent dans l'univers désolé du film noir. Les joueurs de tournoi ne sont ni élégamment vêtus, ni glamour. Ils sont issus d'une société qui cherche dans ce monde de paillettes artificielles, toujours un peu bon marché, l'épanouissement qui n'attend nulle part ailleurs. Pour William, les choses se déroulent une fois de plus comme elles le devraient à la table des cartes, lorsque le monde extérieur parvient à ses oreilles. L'expression d'Oscar Isaac ne laisse guère de doute : elle lui procure un moment de désenchantement.