Par une série d'instantanés et jouant avec le changement de couleur du trait pour faire référence à des époques différentes alors même qu'elles coexistent dans la même vignette, Ana Penyas livre un travail pointu et presque journalistique sur la côte levantine au cours des 60 dernières années. Chaque page est une sorte de polaroïd qui rend compte d'une situation, d'un état d'esprit, d'un fait, d'une émotion en lien avec le thème choisi : Comment les politiques d'exploitation du littoral affectent le quotidien de ceux qui y naissent, y vivent et y meurent. Alors que les structures de pouvoir vampirisent les ressources pour tirer des bénéfices de manière cruelle et impitoyable, laissant des morts dans le caniveau comme dommages collatéraux. Comment les grands-parents qui avaient une maison avec jardin gagnaient et travaillaient à la sueur de leur front, finissent par s'exiler de leur quartier pour construire des appartements et comment leurs petits-enfants finissent par nettoyer ces mêmes appartements des jours marathons pour une bouchée de pain. Parce que le néolibéralisme n'a pas précisément le bien-être du peuple sur son autel.

Ana Penyas parvient à capturer tout cela et elle ne le fait pas à partir de dialogues ou d'une intrigue mais graphiquement, laissant un témoignage sur la façon dont les vignettes sont encombrées de bâtiments ou les détails insérés dans les décors ou les graffitis dans les arrière-plans ou la présence de bulldozers ou dans l'apparition d'incendies qui prolongent le drame. Ici et là, des plans détaillés nostalgiques nous téléportent dans « ces merveilleuses années » en Espagne : le ballon Nívea (une icône publicitaire sur les plages), les Chinitos de la Suerte (les poupées en bois qui portent chance), le flamenco à la télévision. Une utilisation très intelligente de la photographie et de la couleur emballe habilement la bande dessinée. Voir des décennies de pillage concentré dans les pages de cette bande dessinée la rend plus évidente et est déplorée comme sa propre tragédie. L'acte final, où une multitude d'objets décontextualisés des décennies passées sont exposés dans une galerie, est particulièrement efficace et déchirant, comme un musée dédié à une culture ancienne et disparue qui est imaginée plutôt que comprise.