Ce que nous avons c'est la ferme impression que les voitures deviennent plus belles avec l'âge. Non pas que tout était mieux dans le passé, car plus une voiture est ancienne, plus elle est inconfortable et peu sûre. Mais aussi plus amusant à regarder. Comme la série Lefranc existe depuis soixante-dix ans, on y trouve aussi quelques vieux modèles. Jacques Martin (1921-2010) a conçu la série en 1952 comme un cadeau spécial pour Alix, bien que Le Lombard ait envisagé d'en faire sa série principale après le succès de "La Grande Menace", jusqu'à ce qu'Hergé arrache l'auteur pour son studio et que les lecteurs doivent attendre plus de dix ans pour un deuxième volume. Martin voulait une série contemporaine avec des dangers modernes. Il a donc choisi un reporter qui pourrait vivre les aventures les plus remarquables en toute liberté et exclusivité... Tout ce que les vrais journalistes ne vivent jamais. La série n'est pas restée figée dans une époque, mais a littéralement évolué avec le temps, de sorte que dans les années 1990, Lefranc était toujours aussi vivant que quarante ans auparavant. En particulier pour les voitures (et autres véhicules), le lecteur peut dire dans quelle décennie les albums ont été réalisés. Aujourd'hui, les auteurs actuels, se vautrant dans la nostalgie, ont laissé tomber cela et la série, désormais quelque peu démodée, a depuis longtemps pris du retard... La nouvelle de Régric et Roger Seiter ajoutée au livre ne fait que le confirmer (Le Rallye de la Route des Vins). Certes, ils font de leur mieux pour trouver des voitures appropriées à l'époque de l'histoire, car les erreurs contre le réalisme seraient encore impardonnables aujourd'hui. Martin lui-même était fanatique à ce sujet. Par exemple, dans L'Apocalypse (1986), il a modernisé les voitures Mercedes, alors que sa version crayon datait de 1974.

Les voitures de Lefranc offre un aperçu détaillé par album (33 en attendant) de toutes les voitures utilisées par le reporter irrité et les méchants de service. Ce qui est plus intéressant, c'est ce qui a précédé : l'auteur Xavier Chimits illustre avec de nombreux exemples comment Martin a mis le pied dans la porte de l'hebdomadaire Tintin grâce à une rubrique automobile dans laquelle il a réalisé de beaux exemples d'acier et de chrome. On apprend notamment comment Martin, qui a dessiné toutes les voitures des albums de Tintin à partir de 1954, faisait une distinction entre les voitures des séries réalistes et celles des séries humoristiques (dans Tintin, elles décollent du sol pour suggérer la vitesse). Il est également frappant de voir combien de fois Lefranc se déplace en voiture rouge (sportive). Rouge, comme dans l'éternelle tunique d'Alex. Ce n'est pas une coïncidence si Lefranc est également blond : en raison du succès d'Alex, Le Lombard a forcé Lefranc, initialement brun, à adopter un look similaire. "La couleur rouge relie-t-elle les deux héros de Jacques Martin ?" demande rhétoriquement Chimits. "Ou s'agit-il d'une astuce graphique pour attirer le regard du lecteur vers le personnage principal ? Seul Jacques Martin aurait pu répondre à cette question. Mais il a gardé ça pour lui."