L'univers du Chevalier Blanc de Sean Murphy est certainement l'un des meilleurs Elseworlds liés à Batman de tous les temps. Dans les volumes précédents, nous avons vu comment Batman est devenu une sorte d'ennemi pour la ville de Gotham. Non pas qu'il soit mauvais ou animé de mauvaises intentions, Batman reste Batman, mais le contexte dans lequel Murphy a écrit son histoire met l'accent sur une élaboration plus réaliste des conséquences de la lutte contre le crime du Chevalier Noir, qui n'est donc pas "innocente" en termes de dommages collatéraux, de destruction de bâtiments et autres, et parfois de coût en vies humaines. De plus, dans le deuxième chapitre de la saga, nous découvrions que la fortune des Wayne était bâtie sur un mensonge, entachant un peu plus la figure du Croisé à Capuche, qui a accepté son destin et se retrouve désormais derrière les barreaux, payant le prix des machinations du Joker, aujourd'hui décédé. Une bonne dizaine d'années se sont donc écoulées depuis l'époque de la Malédiction du Chevalier Blanc. Les choses, à l'insu de Bruce, ne se sont pas déroulées comme il l'avait espéré. Lorsqu'il s'était laissé arrêter, Bruce avait fait don de toute sa fortune à la ville, afin que ses vastes ressources puissent contribuer à un plan d'aide aux plus démunis. Hôpitaux, écoles, assistance publique. Malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est passé. Les fonds de Wayne se sont retrouvés entre les mains du riche industriel Derek Powers, qui les a utilisés pour financer sa propre armée, transformant Gotham en un État policier, doté d'une technologie futuriste et dont les autorités municipales sont incapables de faire face à la situation problématique dans laquelle elles se trouvent. Dans ce contexte, un jeune homme nommé Terry McGinnis parvient à s'infiltrer dans la Batcave désormais abandonnée et à s'emparer d'un costume amélioré extrêmement dangereux que Bruce n'a pas eu le temps de mettre au point. Sa première expérience avec le costume Beyond se solde par de nombreuses blessures. Une situation trop explosive pour que Bruce Wayne reste derrière les barreaux. C'est pourquoi il organise son évasion. Parallèlement aux problèmes de la ville, l'histoire d'Harley Quinn se poursuit, occupée à élever ses jumeaux, Bryce et Jackie. Le premier est calme et plein de bonne volonté, dévoué à sa mère et obéissant. La seconde, en revanche, a des traits trop semblables à son père (ou plutôt, à la personnalité plus sombre de son père), et la découverte d'une vérité sur son histoire familiale l'amène à se rebeller contre sa mère, qui s'est également éloignée de Bruce, comme tous les autres êtres qui lui sont chers. En arrière-plan, nous avons également le statu quo d'autres personnages historiquement associés à Batman. Le commissaire Barbara Gordon, par exemple, qui, bien qu'elle dirige les forces de police, est impuissante face à la milice de Powers. Ou encore Dick Grayson, lui-même membre de cette milice, qui éprouve des dissensions à l'égard de Barbara et de Bruce. Ou encore Duke Thomas qui, au moment où il se trouve dans une situation délicate, abandonne le rôle de milicien pour endosser celui de Robin. Mais le rôle le plus important est sans aucun doute celui de Jason Todd.

Jason est également le protagoniste de deux chapitres spin-off centraux pour le plaisir de l'histoire, qui se déroulent en grande partie dans le passé du personnage. Nous assistons au moment de sa trahison de Batman, où, torturé par le Joker, il révèle au clown la véritable identité du Chevalier Noir. Ce sera l'épisode qui changera radicalement la parabole de la vie de Jason, qui quelques années plus tard, son expérience aux côtés de Batman étant terminée depuis longtemps et alors qu'il est en plein désarroi, se retrouvera à entraîner une jeune femme qui rêve d'être Robin. Son rôle de mentor (infructueux, d'une certaine manière) l'amènera à mieux comprendre le rôle que Bruce Wayne a joué dans sa vie, et pour revenir à la contemporanéité de l'histoire, le poussera à se ranger du côté de son ancien maître. Même dans un Elsowrld comme celui-ci, la figure de Jason Todd n'est pas très éloignée de celle du canon narratif principal de l'univers DC. Jason est unique parce qu'il est le plus faillible, le plus humain, celui qui a les émotions les plus authentiques et les plus vraies de tous. Et il est souvent victime de ces émotions, mais tout aussi souvent en lutte pour la rédemption, et il est toujours très facile de se reconnaître dans ce personnage. Nous avons également apprécié Terry, qui, d'une certaine manière, est un personnage presque parallèle à Jason dans cette version. Un garçon en quête de vengeance, captivé par une promesse de rédemption contre une ville qui l'a privé de l'affection de son père, mais un circuit de gens sans scrupules. Presque le revers de la médaille du Red Hood. Comme il est désormais de tradition dans cette vaste saga, tous les éléments et sous-intrigues se rejoignent dans le final, avec un twist narratif très satisfaisant et qui raisonne beaucoup sur la notion de famille. Murphy a été très bon pour la énième fois dans la déconstruction et la reconstruction de l'image de Batman, et du comportement des membres de la Famille à son égard. Le final clôt l'histoire de Beyond, mais reste largement ouvert, promettant une suite qui élargit considérablement la portée de la saga. La dernière page est particulièrement révélatrice de ce que nous allons voir dans le prochain chapitre, mais évidemment pour éviter les spoilers et ne pas gâcher la surprise, nous n'en dirons pas plus si ce n'est qu'il ne se limitera pas à l'univers fictif de Batman. Et l'histoire qu'il va potentiellement raconter est vraiment très très intéressante, en plus d'être logique dans le contexte de l'univers du Chevalier Blanc.