La trilogie marseillaise de Marcel Pagnol a commencé comme une pièce de théâtre, a été filmée à plusieurs reprises et est aujourd'hui publiée en bande dessinée. En 1929, après la représentation de Marius, soir après soir, les spectateurs du théâtre criaient avec indignation qu'il ne fallait pas que cela se termine ainsi ! Pagnol écrit ensuite les deux suites Fanny et César. Serge Scotto et Eric Stoffel ont adapté Marius en diptyque, voici à présent l'unitaire Fanny. Quiconque a lu Marius peut imaginer l'indignation du public du théâtre : Marius est une histoire qui réclame une suite, la situation entre le fils du patron du pub César et la vendeuse de coquillages Fanny est loin d'être conclue de manière satisfaisante. Le romantisme délicat du premier volet rencontre la dure réalité dans cette suite, qui reprend quelques instants après que Marius a quitté sa future épouse, Fanny, pour une existence de marin (cinq ans en mer !). Peu après son départ, Fanny apprend qu'elle est enceinte de son enfant, au grand dam de sa mère et du père de Marius, César. Pour assurer une vie meilleure à son enfant à naître, elle accepte une demande en mariage du veuf vieillissant Honoré Panisse.  Le point culminant du drame survient lorsque l'évidence se produit : le retour de Marius.

Tour à tour émouvant et désarmant, ce portrait du chagrin et de ses conséquences est soutenu par l'ouverture d'esprit de Pagnol envers ses personnages. Un triangle amoureux se met en place, chacun des trois tirant dans des directions différentes. "Fanny", qui se déroule à la fin des années 20 et à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, dans les années 30, ne nous laisse jamais oublier ses liens avec des façons plus anciennes de penser le mariage, "inadaptées à l'âge" comme c'était souvent encore le cas. La force de l’histoire réside dans l’interaction entre les différents personnages. Les querelles entre les membres du club de cartes de César ; les discussions entre César et Fanny, les négociations entre la mère de Fanny et Panisse et bien sûr les conversations que Fanny a avec Marius. Tout cela est très drôle, léger et crédible. Scotto et Stoffel redonnent vie aux personnages de Pagnol de manière convaincante. Amélie Causse nous livre des dessins soignés beaux et lisses. Sa coloration rend l'atmosphère ensoleillée de Marseille presque palpable pour le lecteur. Winoc a fait beaucoup de travail préparatoire et cela se voit dans les albums. Marseille est devenue - aux côtés de Marius, Fanny, Panisse et César - un véritable protagoniste de cette BD.