La vérité est que nous ne savons plus quand un livre pour enfants cesse de s'adresser uniquement à un public d'enfants quand on a entre les mains un livre comme Harvey de l'écrivain canadien Hervé Bouchard. Tout est perdu, tout n'existe pas, tout comme Harvey. L'histoire, que l'on peut considérer comme banale, de la mort du père Bouillon, est commune à chaque être humain. La mort a toujours été et sera un sujet difficile à aborder entre adultes et, peut-être, encore plus compliqué lorsqu'un enfant doit y faire face, surtout lorsque cet enfant a des problèmes problématiques, comme être plus petit que son jeune frère, ou lorsque ce même enfant reflète un personnage qu'il a créé pour être visible de lui-même sans être remarqué par les autres. Harvey est comme ça. Il a créé l'homme qui a rétréci après qu'une poussière magique venue de nulle part est tombée sur lui, rétrécissant progressivement, jusqu'à ce qu'il soit emporté hors de la maison par sa propre femme ou quelque chose comme ça. Scott Carré est l'homme inventé par Harvey pour peut-être le faire rester en communion avec le monde réel. Mais c’est ce que font quotidiennement de nombreux enfants, créant des fantasies, non pas pour surmonter les problèmes auxquels les adultes sont confrontés, mais pour essayer de comprendre leur signification face aux choses. Pourquoi pas ?

Harvey peut facilement être utilisé dans les salles de classe par les enseignants et dans une lecture faite par les parents à leurs enfants avant de se coucher pour faire face à la mort. Mais en lisant l’ouvrage, merveilleusement illustré par Janice Nadau, nous avons réalisé qu’il n’y avait aucun moyen de ne pas commenter le contexte psychologique du récit. Car à partir du moment où l'on remarque Harvey, assis seul dans un fauteuil, en train de manger, devant une télé dont on ne sait pas si elle est allumée ou non, on peut conjecturer d'innombrables variantes de solitude. De plus, dans les cinq premières images du début du livre, l'approche que fait l'illustrateur, image par image, venant de loin – il est possible d'entendre un silence profond qui nous fait intuitivement créer des sons, comme celui du vent qui passe – jusqu’à ce que nous arrivions au moment où Harvey fait du vélo seul dans la rue, où la première phrase est prononcée : "Tout le monde m'appelle Harvey". On sent que le ton mélancolique sera présent tout au long de l'œuvre, surtout lorsqu'on arrive à la fin du livre. Les images de Nadau, aux côtés des phrases significatives de Bouchard, nous entraînent dans le livre, c'est comme si nous étions l'un des personnages, l'un des voisins qui ont assisté à l'ambulance devant la maison des Bouillon. Tous les livres ne peuvent pas avoir ce pouvoir avec leur récit. Et, petit à petit, cette solitude se manifeste à travers tous les passages du livre. A partir du moment où Harvey pédale seul ; lorsqu'il attend Scott Carré, dans son « bateau » pour descendre le ponceau, aux côtés de son frère ; en arrivant à la maison et en se rendant compte que la mère est seule, en train de parler toute seule, dans sa chambre ; quand la nuit vient et qu'il va se coucher dans son lit, sous le lit superposé de son frère qui dort paisiblement, et quand il doit se rendre à la veillée de son père.