Elle a appris à rester en équilibre les yeux clos. Elle s'est préparée à danser Giselle dans les ténèbres, et puis elle est devenue progressivement aveugle. Elle a dansé un demi-siècle. Le monde entier l'a acclamée. Elle ne danse pas Giselle ; elle est Giselle. On peut plaisanter sur le fait de pouvoir faire quelque chose les yeux fermés, mais c'est exactement ce qu'Alicia Alonso a appris à faire, ce qu'elle a dû faire pour réussir. Diagnostiquée d'un décollement de la rétine à l'âge de 19 ans – ce qui n'était que le début de ses problèmes de vision qui allaient s'aggraver tout au long de sa vie – elle a reçu l'ordre de rester complètement immobile, se reposant sur le dos pendant plusieurs mois pour se remettre d'une opération des yeux. Elle a été citée comme disant : « J'ai dansé dans ma tête. Aveuglée, immobile, à plat ventre, je me suis appris à danser Giselle.

Bien qu'elle soit partiellement et définitivement aveugle sans vision périphérique, cette danseuse étoile d'origine cubaine était connue pour ses capacités techniques avancées pour son époque, pour son art émotionnel intense et pour sa longévité tout simplement stupéfiante. Il semblerait qu'elle n'ait jamais laissé son handicap la définir, en fait, elle parlait à peine sur le sujet, et son public n'a jamais soupçonné un instant sa cécité. Ce roman graphique nous offre différentes tranches de vies et de destins liés au Ballet de Cuba. Des destins éprouvés, et pourtant plein d'espoirs, de plusieurs générations de danseuses se croiseront, depuis le régime dictatorial des frères Castro jusqu'à nos jours, peut-être moins difficiles mais marqués, toujours gangrénés par la peur. L'album nous absolument conquis par le trait et les couleurs de Mayalen Goust. C'est doux, c'est soigné, et son travail sublime les corps déliés des danseuses du Ballet National de Cuba, ballet fondé par la grande et énigmatique Alicia Alonso, en pleine période de révolution cubaine.